Edito_________________________
« Grande démission » ou réhumanisation du travail ?
Comment, dans un pays obsédé par les statistiques du chômage au point que le mot « emploi » s’y est substitué à celui de « travail », en est-on arrivé en quelques mois à s’inquiéter de la difficulté des entreprises, tant à recruter des collaborateurs qu’à limiter leur démission ?
Emplois, collaborateurs, … les mots sont lourds de sens…
Car il s’agit bien, dans notre modernité consumériste, d’être « employé à collaborer » à la croissance d’une économie basée sur la production d’objets, « système des objets » décrit par Baudrillard, dont la finalité est d’être consommés, c’est-à-dire métabolisés ou simplement détruits pour être remplacés par de nouveaux. Un cycle aujourd’hui condamné par l’urgence écologique qui appelle à limiter l’exploitation de matières premières, la consommation d’énergie et la production de déchets.
Ainsi, ce que l’on appelle la « grande démission » ou la « désaffection pour le travail » n’est peut-être pas le simple effet de la crise sanitaire, d’une politique sociale trop protectrice ou d’une épidémie de flemme, mais semble bien être un mouvement de fond associé à une prise de conscience collective de la nécessité d’un changement radical de modèle de société.
Si, pour le plus grand nombre, pourvoir aux nécessités de la vie reste la raison d’être du travail, contribuer à la croissance et à la prospérité d’une économie consumériste sont devenus des objectifs en conflit avec la nouvelle morale écologique. Dans ce contexte, la fameuse « valeur travail » est perçue comme un oxymore, la valeur se plaçant dorénavant du côté de la création ou mieux, de l’œuvre, pour citer Hannah Arendt.
Pour le dire autrement, loin d’être un signe de déliquescence, la requalification du travail en création relève d’une forme de réhumanisation de notre société et d’une volonté de reconstruire ce que la vision progressiste moderne a contribué à détruire.
« Travailler pour reconstruire le monde » est donc le thème choisi pour ces 1ères Assises Sens et Travail dont l’ambition est de tenter de comprendre ces nouvelles aspirations, évaluer leurs conséquences sur le management et l’organisation des entreprises, mais aussi de voir comment ces dernières peuvent se transformer au service du bien commun pour contribuer à relever les défis environnementaux, économiques et sociétaux de notre temps.
Jacques MARCEAU, Président d’Aromates, co–fondateur des Assises Sens et Travail